Je suis le Bouquetin des Pyrénées, déclaré éteint le 6 janvier 2000. Je vivais sur les pentes rocheuses et j’étais reconnaissable pour mes cornes en forme de lyre et ma robe soulignée de noir. J’ai posé pour un peintre il y a vingt mille ans, dans la grotte de Niaux, en Ariège.
Je suis le Rhinocéros Noir d’Afrique de l’Ouest, déclaré éteint le 11 novembre 2011. Les braconniers ne donnaient pas cher de ma peau, en revanche un kilo, oui un kilo de ma corne se vendait le prix d’une Alfa Romeo 4C, soit environ cinquante mille euros. En 1800, mes cousins et moi étions un million sur le globe, aujourd’hui il n’en reste plus que vingt cinq mille.
Je suis le Dauphin de Chine déclaré éteint en 2006 à cause de la pollution et des cargos.
Je suis le Crapaud Doré endémique du Costa Rica, déclaré éteint en 2001 à cause de multiples possibles facteurs, dont l’invasion de mon espace ou le réchauffement climatique.
Je suis l’une des vingt six mille espèces animales ou végétales qui disparaissent chaque année.
Je suis le Pic à bec ivoire des États-Unis et de Cuba, et je ne suis plus
Je suis le Phoque moine des Caraïbes, et je ne suis plus
Je suis l’Huîtrier des Canaries, et je ne suis plus
Je suis le Canard d’Oustalet, et je ne suis plus
Je suis la Violette de Cry, et je ne suis plus
Je suis le Bruant à dos noirâtre, et je ne suis plus
Je suis le Grizzly Mexicain, et je ne suis plus
Je suis le Tigre de Java, et je ne suis plus
Je suis le Tigre de Tasmanie
Je suis l’Otarie du Japon, et je ne suis plus
Je suis le Kangourou-rat du désert, et je ne suis plus
Je suis la Grenouille plate à incubation gastrique, et je ne suis plus
Je suis la Tortue géante de l’île de Pinta, et je ne suis plus
Je suis le Bandicoot à pied de porc, et je ne suis plus
Je suis l’Achyranthes Atollensis à Hawaï, et je ne suis plus
De feuilles, de poils ou de plumes
Nous sommes ces espèces disparues par centaines de milliers
En Afrique, en Antarctique, dans les confins de l’Amérique
Dans les plaines d’Europe dans les déserts d’Australie
En Papouasie, en Mongolie, en Malaisie et au Chili
Nous sommes ces espèces disparues
Dans les rivières qui inondent la Terre
Dans les montagnes fières et baignées de lumière
Dans les lacs et les forêts qui nourrissent la chair
Dans les écrins qui défendent les secrets
Dans les coulées, dans les creusets
Dans les cailloux et les coraux
Dans ces endroits que nous sommes les seuls à connaître
Dans ces endroits dont tu ne sauras jamais rien
Que l’infime pudeur qui s’exhibe au matin
Dans ces endroits dont tu ne sauras jamais rien
Car leur dignité est impénétrable
Pas même par la science et les fables
Que tu emmènes dans ton cartable
Oui, nous sommes ces espèces disparues
Dévorées par l’inconscience convenue
Mais bien plus que cela
Toi et moi sommes reliés par Le Plus Grand
Nous sommes la Trame du même Satin
Et avons été tissés de la même Main,
Et lorsque tu scelles notre destin
C’est comme une partie de toi qui se meurt et s’éteint
Souviens-toi
Nous sommes la Vie qui bourdonne à tes oreilles
Nous sommes le Rayon qui éblouit tes yeux
Nous sommes la Soie qui caresse ton corps
Nous sommes le Souffle
Nous sommes l’Arôme et la Saveur
Nous sommes les battements de la Terre et ceux de ton coeur
Souviens-toi
Quand tu refais le monde avec quelques copains
Que nous sommes le Souffle
Nous sommes l’Arôme et la Saveur
Nous sommes les battements de la Terre et ceux de ton coeur
“Espèces disparues” est venu un matin au piano. Je ne savais pas encore de quoi parlait cet air, mais je l’ai joué et joué encore pendant peut-être une bonne heure. C’était un moment très particulier, une forme de transe qui parlait de la Terre et du respect de la Vie. Subitement, j’ai alors eu comme un appel d’urgence de la part de ceux qui n’ont pas de voix pour crier. Leur voix est devenu ce texte, mais aussi et surtout la voix qu’a posée en studio Amal (“Haaa haaa”) en toile de fond. C’était “Espèces disparues” qui venait de naître. Je suis partie dans une grande recherche bibliographique pour ériger ce “moment aux morts” d’espèces disparues du fait de l’Homme.
En studio, c’est mon amie Isabelle qui a fait ce “listing” d’espèces disparues. C’était la bonne personne, si connectée au monde animal. Nous avons souhaité lui donner un aspect “radio”, avec une doublure de ma voix, peut-être pour apporter plus de réalisme à cette cause. Comme si nous aurions pu entendre cela un matin, en nous réveillant. Quant au tableau de Paul pour l’illustration, j’y ai vu le Carrousel des mondes marins à Nantes, que Julien a su magnifiquement sublimer.
Nous avons pas mal cherché avec Dom au niveau des arrangements, car nous avions déjà une version piano-voix simple qui nous plaisait. Mais nous avons eu l’envie que ça crie et que ça gronde.
Paroles et musique : Romain
Arrangements : Dominique Fauchard
Voix féminine “radio” : Isabelle Cottron
Voix féminine : Amal El Bouchari
Piano : Romain
Guitares : Dominique Fauchard
Autres instruments : Dominique Fauchard
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Peinture : Paul Bigourdan
Photographiée par : Raphaële Kriegel
Création graphique : Julien Grelet
Album De Tout Coeur
© et ℗ Tous droits réservés – Éditions De Tout Coeur
En jouant cet air la première fois, il m’a semblé que les espèces disparues du fait de l’Homme venaient à moi pour me crier l’urgence d’arrêter tout cela. J’ai vécu une émotion intense. Ce titre, c’est le cri de centaines de millions d’êtres qui n’ont pas de voix pour l’exprimer. Je fais le voeux qu’il touche au moins autant d’humains.
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